Louis Charles de la Trémoïlle
Depuis son achèvement au tout début du XVIIIe siècle, le château a connu de nombreux travaux d’entretien et d’améliorations. Louis-Charles de La Trémoïlle hérite de Serrant en 1894 à la mort de son cousin germain Ludovic Walsh, comte de Serrant.
À partir de 1894, le duc et la duchesse de La Trémoïlle, Marguerite Duchâtel, entreprennent donc de très grands travaux pour transformer le château en demeure confortable et moderne. Ils font appel à l’architecte Lucien Magne pour coordonner les travaux ; Magne est connu pour ses restaurations d’édifices, notamment l’abbaye de Fontevraud, le logis Pincé ou l’abbaye Saint Serge d’Angers. Le duc souhaite rendre à Serrant son faste Renaissance, tout en intégrant les dernières avancées technologiques. Il est difficile de savoir qui de l’architecte ou du duc a donné l’impulsion historiciste des travaux, mais le choix de Magne indique sans aucun doute la volonté de recréer un château Renaissance idéal, en gommant les ajouts du XVIIe siècle et en incluant des éléments décoratifs qui n’ont probablement jamais existé à l’origine.
Pendant quatre ans, le château n’est qu’un vaste chantier : toitures, façades, pavillons, distribution des salles, décoration, jardins : tout est remanié.
Marguerite Duchâtel
Pour l’extérieur, Magne reprend le parti pris des premiers bâtisseurs, la famille de Brie, au XVIe siècle : la balustrade supprimée au XVIIe siècle est rétablie sur la corniche supérieure, et la toiture est abaissée afin de créer des lucarnes au deuxième étage, comme cela pouvait l’être au XVIe siècle sur la partie centrale. Les tours sont coiffées de lanternons ajourés et la base des dômes en ardoises est remaniée pour leur donner une silhouette plus gracieuse. Les croisées des fenêtres, supprimées par les Bautru et les Walsh, sont rétablies, et la devise de la famille, « Jamais hors de l’ornière », vient orner la façade principale. Fidèle à sa passion pour l’histoire, le duc souhaite s’inscrire dans une continuité qui légitime sa présence à Serrant : il ajoute ainsi les armoiries des Brie et des Bautru sur les façades des ailes latérales, et conserve celles des Walsh sur le grand portail de la cour.
Pour aller avec les façades Renaissance de son château, le duc demande à son architecte d’aménager des jardins à la françaises sous les fenêtres, tout en conservant les pièces d’eau pittoresques du parc paysager. La fin du XIXe siècle voit le retour d’une mode de jardins réguliers, sous l’égide de paysagistes comme Achille Duchêne. Magne dessine donc un grand parterre à la française devant la façade arrière, délimité par une balustrade en pierre qui l’isole du jardin paysager et de l’étang. Pour rejoindre ce jardin depuis le château, l’architecte conçoit un monumental escalier enjambant les douves depuis le premier étage. De grands parterres de broderies sont également prévus devant le château vers la route nationale mais jamais réalisés.
Le parterre et la balustrade aménagé par Lucien Magne
À l’intérieur, le duc fait rétablir la distribution d’origine : le premier étage accueille les salles de réception (salon et bibliothèque), tandis que le rez-de-chaussée accueille des chambres. Néanmoins, en véritable homme du XIXe siècle, il ajoute des salles nouvelles : vestibule au rez-de-chaussée à gauche de l’entrée, salle à manger spacieuse à droite avec office et monte-plats depuis les cuisines au sous-sol, corridors permettant de distribuer les chambres en évitant les enfilades de pièces, et création de salles de bains dans chaque chambre. Le deuxième étage est entièrement repensé : des appartements composés de chambres jumelles et de leurs salles de bains respectives sont créés pour accueillir des invités, le tout desservi par d’immenses couloirs.
Les espaces domestiques reçoivent une attention particulière : des escaliers dérobés distribuent les étages, des entresols sont créés pour loger le personnel de chambre, les combles sont aménagés pour le reste des domestiques. Les sous-sols accueillent les espaces de travail : cuisines, boulangerie, boucherie, caves, etc… Comble de la modernité, un monte-charge est installé, permettant aux domestiques de monter les bagages et le bois de chauffage dans les chambres.
Lucien Magne fait installer le chauffage central : deux énormes chaudières à charbon sont mises en place dans les sous-sols et permettent de chauffer toutes les salles du château, y compris les couloirs des combles. L’électricité est installée dans les années 1900 : un générateur Diesel alimente le château et les communs ; dès lors, tout le système d’éclairage et d’appel des domestiques est repensé en intégrant cette nouvelle technologie. L’eau courante est installée pendant les grands travaux : grâce à une pompe manuelle, l’eau du puits situé dans les sous-sols est montée dans des cuves en fonte installées sous les dômes des tours. Suivant le principe des châteaux d’eau, l’eau s’écoule ensuite par gravitation jusqu’aux nombreuses salles de bains du château.
Escalier extérieur au dessus de la douve construit par Lucien Magne (aujourd’hui détruit)
Sur le plan décoratif, le duc et la duchesse souhaitent conserver un maximum d’éléments existants mais afin de les adapter aux nouvelles salles créées, un grand travail de réemploi a été menées. Les boiseries d’époque Louis XV et Louis XVI des salons aménagés par les Walsh au XVIIIe siècle sont ainsi démontées et remontées dans les nouvelles chambres. Pour la salle à manger, le duc demande à son menuisier de reprendre le modèle de pilastres existant dans l’escalier Renaissance. Les tapisseries déjà présentes dans les collections sont conservées et intégrées dans les boiseries de la salle à manger et du salon. La nouvelle bibliothèque conserve l’immense cheminée avec le portrait d’Antoine Walsh et du prince d’Ecosse aménagée au milieu du XVIIIe siècle pour la grande salle de réception du château.
Seul le grand salon fait l’objet d’une création totale dans un esprit néo-Renaissance à la mode : Lucien Magne fait abattre un épais mur du XVIe siècle pour créer une grande salle de 170m², une cinquième fenêtre est percée côté jardin. Un système de poutres en acier permet de renforcer la structure du bâtiment, habilement camouflé par un superbe plafond à caissons de bois inspiré des palais italiens du XVIe siècle. Une immense cheminée en tuffeau d’inspiration Renaissance est construite, avec la statue équestre de Louis II de La Trémoïlle, valeureux chevalier qui mena les armées royales pendant les guerres d’Italie. La statue, inspirée de celle du mausolée de Louis de Brézé à la cathédrale de Rouen, a été retirée quelques années plus tard pour être remplacée par les armoiries de la famille.
Les travaux dans la cour d’honneur (Archive du château de Serrant)
Le Grand Salon vers 1900 (archive du château)
Le duc et la duchesse se font aménager de magnifiques appartements dans l’aile Sud : pour chacun d’eux, une chambre, un salon privé et une salle de bains sont créés, reproduisant ainsi le modèle des hôtels particuliers parisiens de l’époque. La duchesse souhaite réemployer d’anciennes boiseries d’époque Louis XVI datant des Walsh et ajoute une pièce remarquable : une rare tapisserie en laine et soie du XVIIIe siècle à motif asiatique.
Le couple ducal prévoit également un appartement indépendant dédié à leur fils ainé, prince de Tarente, et sa famille au rez-de-chaussée : une chambre pour le prince avec une curieuse salle de bains dans un placard, une chambre pour son épouse et surtout une suite de pièces pour leurs enfants : chambre, salon de jeux et chambre de gouvernante.
A l’issue des quatre années de travaux, le duc et la duchesse peuvent s’installer à Serrant avec leur famille. Ils viennent périodiquement au château, principalement à l’automne et au printemps, mais entretiennent un fort attachement à toutes les personnes qui travaillent de près ou de loin sur le domaine : régisseur, métayers, jardiniers, etc… Lorsqu’elle n’est pas à Serrant, la duchesse se fait envoyer par le train des caisses de fleurs et légumes frais du potager de son château angevin.
Aujourd’hui, le fruit de ces grands travaux est à admirer lors d’une visite du château : l’aménagement général des intérieurs, le décor des salles, le mobilier et les œuvres d’arts placés par la duchesse de La Trémoïlle n’ont quasiment pas bougé depuis 120 ans, précieusement entretenus par les descendants, le prince et la princesse de Ligne puis aujourd’hui le prince et la princesse de Merode. Comme une reconnaissance du travail menés par les générations successives, l’ensemble du mobilier est classé Monument Historique en 2001, illustrant la rareté de cette collection unique dans la région.
Source :
La restauration du château de Serrant entre 1894 et 1898 par le duc et la duchesse de La Trémoïlle de Geoffrey Chevalier
Projet d’aménagement de l’avant cour par Lucien Magne en 1901
L’avant cour au début du XXème siècle