Saint Georges Patrimoine

Julien Heurtelou

1727-1791

maison rené furet

La maison René furet, situé au 7 rue de l’oisellerie à Angers où résida Julien Heurtelou

Julien Heurtelou est né le 24 janvier 1727. Il est le fils de Jean Heurtelou, commis à la recette des tailles à Angers, et de Jeanne Simon, propriétaire d’une carrière d’ardoise.

Son frère jumeau, François part en 1750 pour Saint Domingue. En 1665, L’angevin Bertrand d’Oregon devenait premier gouverneur au nom du roi de la colonie. Cette nomination va créer un véritable pont entre l’Anjou et l’île Antillaise. Tout un courant d’émigration à destination de l’Amérique se développe le long du réseau de la Loire, affectant les couches sociales les plus diverses. Bien des fortunes angevines investissent dans la fameuse Isle à sucre. De riches négociants de l’île viennent également investir en Anjou comme Antoine Walsh qui vient d’acheter le château de Serrant en 1749 ou encore, Etienne Fortier, armateur nantais qui achète le château de Chevigné en 1761. Mais l’île attire également des petits bourgeois comme François Heurtelou qui espère y faire fortune. Il travaille d’abord comme commis d’une maison de commerce au Petit-Goave, localité d’importance où siège le conseil supérieur de l’île. Si François se plaint des conditions de travail, de son salaire et de son patron, un certain Reverdy, il est charmé par l’exotisme de l’île. « Les chemins sont couverts par les orangers et citronniers ; mille petits ruisseaux serpentent de tous côtés, » écrit-il à son frère resté en France. Reverdy fait miroiter que François prendra la tête de son affaire à sa mort ; en attendant il offre un petit salaire de misère à François qui ronge son frein. Il faut dire que les affaires sont prospères : Reverdy vend des esclaves dans les plantations. François témoigne à son frère dans ses lettres : « Il lui est arrivé, il y a deux mois un navire de 500 Noirs et sous deux mois il en attend un autre. (…) C’est, je t’assure, la meilleure marchandise que l’on puisse apporter à Saint Domingue. Ils se vendent 1400 livres les femmes et 1500 livres les hommes, et même plus quand ils sont beaux et jeunes. » Reverdy cherche à marier le jeune homme à la sœur d’un riche négociant mais François décide de changer d’employeur et le mariage n’a pas lieu.

En 1753, cela fait trois ans et demi que François a quitté la France, il décide de monter sa propre affaire. Mais en 1756 éclate la guerre des sept ans, conflit mondial entre la France alliée à l’Autriche et l’Angleterre alliée à la Prusse qui vont s’affronter en Europe et dans toutes leurs colonies. « Dès que la guerre fut déclarée, je m’imaginai, parce que je l’entendais dire, que c’était un temps favorable à la fortune (…) Je n’ai fait que me ruiner peu à peu sans jamais voir le jour à la moindre entreprise pendant sept ans et demi qu’a duré cette guerre », explique-t-il à son frère.

Ses affaires commerciales au plus bas, ayant perdu la moitié de sa fortune en six mois, François va devenir procureur de plantations, c’est-à-dire administrer des exploitations de l’île pour des propriétaires angevins restés en métropole. Il charge alors Julien, son frère d’accomplir des démarches en son nom à Angers. Julien est devenu, en 1751, trésorier-receveur des octrois et secrétaire de l’hôtel de ville d’Angers, succédant à son grand-père maternel, Simon Simon.  Il habite à Angers, dans la maison René Furet, du nom de son commanditaire au XVIème siècle. Julien va rechercher pour son frère des propriétaires angevins susceptibles d’embaucher son frère à Saint Domingue. En février 1760, il contacte ainsi, à la demande de son frère, la veuve d’un marchand de dentelle, mort sur l’île, pour l’inviter à signer une procuration à l’avantage de François. Six mois plus tard, c’est un raffineur qui décède et Julien doit trouver sa femme à Angers.

Julien se marie avec Anne-Christine Lusson, le 31 janvier 1763 à Angers. Celle-ci est la fille de Georges Lusson, fils de René Lusson, greffier du comté de Serrant, et de Anne Marie Jory, fille d’un marchand et ancien juge d’Angers. Il reçoit le château de la Bénaudière en dot et le couple s’installe à Saint Georges sur Loire.

En 1761, François Heurtelou avait été embauché chez un grand négociant de Léogâne. Quand en 1763, l’un des patrons décède et l’autre retourne en métropole, François s’associe pour reprendre le commerce. Les débuts de la jeune société sont prometteurs : la paix provoque une reprise générale des affaires. La colonie a manqué de tout depuis sept ans et en particulier d’esclaves. « Le premier jour de notre société, il nous arriva un négrier de 495 Noirs dont la vente s’est montée à 580 000 livres. C’est un événement qui nous est de bon augure pour l’avenir », écrit-il à son frère. François Heurtelou va alors connaître une grande réussite sociale et financière. A partir de 1771, il devient l’un des plus importants négociants de Saint Domingue. « Je me vois possesseur de la plus belle maison d’ici, d’une vingtaine de bons domestiques, d’autant de chevaux et de plusieurs milliers d’affaires. »

François Heurtelou ne rentre qu’une fois en France, en 1770, durant 5 mois mais son regard reste tourné vers la métropole. S’il ne regrette rien de la vie angevine, il charge son frère, Julien, de réaliser la bonne affaire immobilière. « Si dans deux ou trois ans, il se présentait quelques terres en Anjou du prix de 150 à 200 000 livres, tu me feras le plaisir de m’en instruire », lui confit-il. François diversifie son activité : en 1772, il achète une cafèterie sur laquelle il a « 105 beaux nègres, 20 mulets de charges, avec plusieurs autres bestiaux » et dont il espère tirer 100 000 livres dès la première année. Mais alors que François développe une fortune considérable, les affaires familiales en Anjou sont très difficiles.

acte de mariage de Julien Heurtelou et Anne Christine Lusson

Acte de mariage deJulien Heurtelou et Anne Christine Lusson (ADML, registre de Saint Pierre d’Angers 1757-1777 p.165)

carte de Saint Domingue en 1789

carte de Saint Domingue en 1789

La sœur de Julien et François, Marguerite est l’épouse de Louis Sartre du Verger. L’homme est à la tête d’un prospère commerce de drap et de soie et d’une entreprise d’exportation d’ardoise. Jeanne Heurtelou, la mère de Julien et François, propriétaire d’une carrière d’ardoise, s’est associée à son gendre. Le 20 mai 1771, Julien annonce à son frère la faillite de Louis Sartre qui touche également sa mère. Louis Sartre, ruiné, sa femme et leurs cinq enfants sont désormais sans ressource : ils envisagent de rejoindre Saint Domingue pour retrouver le frère de Louis. Mais les malheureux ne sont pas les bienvenus à Saint Domingue. François conseille à sa sœur de se retirer à la campagne tout en cessant de s’occuper d’ardoises. Joseph Sartre, le frère de Louis en fait tout autant. Mais acculé par les dettes, – le père de Louis refusant de payer pour son fils et les Heurtelou incapables de couvrir de telles sommes – , Louis quitte la France le 3 novembre 1771, laissant derrière lui femme et enfants pour rejoindre Saint Domingue 54 jours plus tard.

Cette fuite n’est pas sans conséquence sur la famille Heurtelou car les créanciers font pression sur la pauvre Marguerite ainsi que sur Jeanne Heurtelou. Pour aider sa sœur et sa mère, Julien qui est trésorier-receveur de l’octroi de l’hôtel de ville d’Angers prélève dans les fonds publics de sa caisse 25 000 livres. Le détournement est finalement découvert : Julien est renvoyé et il est sommé de rembourser l’argent manquant.

Dans une situation critique, Julien se tourne vers son frère François, devenu par sa réussite, le dernier salut de la famille. Mais François, qui vient d’investir dans la cafèterie plus de 350 000 livres, fait preuve de réticence et tarde à lui envoyer l’argent. Le 12 février 1773, face à cette situation, Julien supplie son frère, dans un véritable appel de détresse : «J’ai un pressant besoin de tes secours (…) Tu me proposes de renvoyer mon compte à 1774. Tous les jours on me demande quand il sera prêt, et il y a plus d’un an qu’on me demande quand il sera prêt.  (…) Dans cette position, il ne me reste donc que toi, cher frère, sur qui je puisse compter. » François ne reste pas insensible à la peine de son frère et lui fait parvenir 40 000 livres. Julien parvient à négocier le remboursement de son dû et fait parvenir une requête pour être réintégré à son poste de trésorier-receveur. La requête est rejetée sans grande surprise.

Louis Sartre a, lui, rejoint Port-au-Prince au début de l’année 1772. Il est accueilli avec une vive amitié par son frère Joseph, marié à la fille d’un conseiller de l’île, qui lui promet de lui trouver du travail. Mais Louis souffre de fièvres pendant de longues semaines et peine à trouver un emploi. Son frère n’a finalement que peu de réseau. Louis, dans un profond désarroi, se retourne alors vers son beau-frère, François qui lui propose un poste de gérant dans sa caféterie. Louis prend donc la tête de la plantation, plein d’optimisme. L’exploitation du café est en plein boom. La plante a été introduite sur l’île en 1725 et d’abord cultivée dans de petites exploitations familiales d’une vingtaine d’esclaves. Après la guerre des sept ans qui a fait chuter les cours du sucre, on voit donc se développer de grandes caféteries dans toute l’île. Des colons fraichement débarqués investissent massivement et font fortune. La caféterie du Coq qui Chante de François Heurtelou va donc profiter de cet élan.

Si François doit investir massivement pour remettre la caféterie sur pied, il bénéficie, du fait de son activité de négociant, d’esclaves en grand nombre. Les espoirs de François sont grands pour cette affaire. Mais les déceptions ne tardent pas à venir. Louis Sartre se révèle un piètre administrateur, incapable de gérer les 150 esclaves du domaine.  Les recettes sont loin de celles escomptés tout comme les récoltes. « La récolte n’est pas si considérable qu’elle devrait l’être parce que je n’ai pas assez de nègres, j’en ai eu beaucoup de malades. J’en ai même perdu cinq. » Les esclaves arrivés depuis peu sur l’île ont en effet du mal à s’habituer aux conditions de vie de la plantation située dans les hauteurs de l’île et au climat plus rude.

Les tensions grandissent entre François Heurtelou et son beau-frère, d’autant que celui-ci émet le souhait de faire venir sa femme Marguerite et ses enfants. François s’y oppose fermement. « Tu peux assurer à ma sœur que du moment qu’elle arrivera, je l’abandonnerai, elle, son mari, et ses enfants » écrit-il à Julien en 1773. Mais sur l’île comme en affaires, la patience est de mise et, l’année suivante, Louis Sartre s’affirme dans son rôle de gérant et la caféterie fait de gros progrès si bien qu’en 1775, la plantation s’agrandit de 40 000 pieds.

En 1776, François Heurtelou devient procureur d’une grande propriété. Il vend la caféterie à Louis Sartre qui semble enfin renouer avec le succès. Mais son beau-frère retire les 120 esclaves qui travaillent dans la plantation. Louis Sartre va donc emprunter de l’argent à son beau-frère pour retrouver de la main-d’œuvre. Malgré cela, il reste confiant et espère rembourser son beau-frère et ses créanciers angevins en quelques années avant de revenir en Anjou. Ses projets ne verront jamais le jour : il tombe malade et meurt le 29 août 1777. François Heurtelou meurt, quatre ans plus tard, à Léogâne. Il lègue à son frère et à sa sœur, 360 000 livres. Mais la liquidation du legs est difficile. La fortune du défunt est constituée principalement de créances contractées par les colons pour des achats d’esclaves. Dans un contexte de guerre, il est difficile de recouvrir ces dettes d’autant que Shéridan, l’exécuteur testamentaire, n’est pas vraiment connu pour son honnêteté et fait traîner les choses. En 1791, à la mort de Julien Heurtelou, la succession fait encore l’objet de contestation.

Le fils de Julien Heurtelou, Julien Georges Jean, né le 26 mai 1765, deviendra officier municipal de novembre 1791 à avril 1795, puis administrateur du district d’Angers jusqu’en juin 1798, à la suite de quoi, il deviendra membre de la commission des hospices et membre du conseil général de 1800 à 1808. Il fait reconstruire le château de la Bénaudière après 1796. Il est élu à la chambre des Députés en 1815 pendant la Restauration. Il décède à la Bénaudière le 30 août 1841. Le château devient la propriété de Charles-Marie Calixte de Jousselin en 1854.

Sources :

Charles Frostin (1970), Entre l’Anjou et Saint Domingue : de l’ardoise au café (1750-1791), Bulletin de la Société d’Histoire de la Guadeloupe, Numéro 13-14, Pages 29-63.

Célestin Port, Dictionnaire de Maine et Loire, tome II p 281, 1978.

Revue de l’Anjou, tome 14ème, 1887, page 74

Carte postale du château de la bénaudière au début du XXème siècle

Le château de la Bénaudière à Saint Georges sur Loire fut reconstruit en 1796 par Julien Georges Jean Heurtelou, fils de Julien Heurtelou