soldat à la Révolution
Entrée des français à Chambéry en 1792
Pierre-Louis Collet est né le 7 juin 1774. Son père, Mathurin, est laboureur à La Villette, un hameau important de la vallée de Saint-Georges, proche de la Loire. Laboureur : le terme était utilisé sous l’ancien régime pour désigner un paysan possédant en propre, instruments et animaux de labour.
Engagé dans l’armée révolutionnaire, il écrit, le 7 juin 1793, à ses parents, pour les rassurer sur son sort et leur raconter SA guerre, les exploits de sa demi-brigade, composée de l’ancien 28e régiment du Maine, et de volontaires recrutés à partir de 1791, puis de conscrits dès 1793. La troupe est commandée par François Gilles Guillot, officier angevin.
Pierre a 19 ans lorsqu’il écrit cette lettre. Il fait partie depuis 5 mois, c’est-à-dire depuis le début de l’année 93, d’un régiment de chasseurs, et il raconte fièrement l’avancée des troupes en Savoie, afin de repousser celles du royaume de Piémont-Sardaigne. S’est-il enrôlé volontairement en 1791, fuyant peut-être la misère des temps ? Est-il de ceux qui furent tirés au sort en février 1793, parmi les célibataires de plus de 18 ans de chaque commune, lors de la levée des 300 000 hommes ?
En janvier 1793, Louis XVI est guillotiné. Rien qui puisse rassurer ses voisins ! Le roi de Sardaigne, qui possédait aussi le Piémont au nord de la péninsule italienne, fait partie de la première coalition opposée à la France. En 1792, l’armée révolutionnaire est entrée dans Nice, ville italienne dont elle s’est emparée, et en Savoie, dont elle a fait le département du Mont-Blanc. Les Autrichiens ont envoyé une division pour soutenir les Piémontais-Sardes dans leur effort de reconquête, et c’est à l’affrontement avec eux que participe Pierre Collet. Il y a 4 mois, dit-il, que sa demi-brigade a quitté Nice pour s’enfoncer dans les Alpes. Après avoir connu la douceur méditerranéenne, il découvre une région montagneuse enneigée (plus de 6 pieds de neige, c’est-à-dire à peu près 1,80 m). On imagine la stupéfaction du jeune Angevin, peu habitué à ces extrêmes, et la difficulté de la progression.
Et puis, c’est le combat, de nuit, l’attaque surprise ! Il raconte la fusillade nourrie, un peu à l’aveuglette, et la découverte, au petit matin, des cadavres. Sur le champ de bataille, des bras, des jambes, des fusils, des chapeaux… Huit jours après, s’encourageant mutuellement pour affronter le danger et les tirs qu’ils subissent, c’est la poursuite jusque dans le campement ennemi, qu’on brûle, après avoir renversé la soupe cuisant sur le feu, et s’être emparé du pain. Pierre Collet évoque la peur de ses camarades et la sienne, leur courage pour repousser l’assaillant. L’endroit est mis « à feu et sang » écrit- il. Eternelle furie de la soldatesque.
Il faut imaginer les parents, attentifs, inquiets, qui reçoivent la missive, à qui sans doute il faut la lire. En effet, lors de l’acte de baptême de Pierre, son père Mathurin a déclaré « ne scavoir signer ». Où le jeune homme a-t-il appris à lire et écrire ? A l’école de son village ? A l’armée ? La lettre est riche de renseignements, dépourvue de ponctuation, écrite d’une plume alerte, mais d’une orthographe phonétique. Il signe d’ailleurs Collette, reproduisant ainsi le t final appuyé de la prononciation locale. Il évoque les villes traversées, Sospelo, Lantosque, et se moque des Austro-Sardes qui, affamés, désertent et crient « Vive la Nation » à l’image des Français, pour s’attirer l’impunité.
Assignat révolutionnaire
Mais Pierre Collet, en bon paysan, parle aussi des cultures qu’il voit « il y a beaucoup de froman, dit-il, et beaucoup de raisain, ainsi que des figues ». Il s’inquiète de ce que vivent ses parents. Il demande des nouvelles du pays : les assignats, récente monnaie de papier, se déprécient à vue d’œil entraînant une hausse des prix, rendant les denrées de base de plus en plus chères. D’ailleurs, dit-il, en Savoie, ils ont perdu la moitié de leur valeur. Il s’informe aussi de l’état d’esprit de la société de son village angevin et demande « si les aristocrates font toujours leur même train ». Ignore-t-il que le plus puissant d’entre eux, Antoine Walsh comte de Serrant a quitté la France dès la mi-juillet 1789, laissant le château de Serrant entre les mains d’un fils infirme et de serviteurs dévoués ? Sait-il que la comtesse est morte le 12 mars 1793 ? Elle avait dû, en octobre 1789, dans son beau château de Serrant, affronter les paysans menaçants de son comté, venus lui réclamer le remboursement d’amendes jugées abusives, et elle avait été contrainte de céder !
1793, c’est aussi l’année des périls intérieurs, celle des succès de l’Armée Catholique et Royale, armée des Vendéens, qui pille les principales villes de l’Ouest, avant son échec, en septembre devant Cholet et la désastreuse virée de Galerne. La commune de Saint-Georges, qui, deviendra un peu plus tard Beau-Site, au moment de la déchristianisation des noms, vit cette période troublée dans une tranquillité très relative, marquée davantage par la misère de nombre de ses habitants, par les exactions des troupes qui la traversent, que par des engagements passionnés.
Enfin, le juvénile soldat de la Révolution demande des nouvelles de toute sa famille : mère, frère, sœur, parrain, marraine, à qui il adresse ses compliments. Il prie son père de lui répondre dès la réception de sa lettre, car la correspondance est difficilement acheminée depuis, ou jusqu’à la Savoie occupée par les troupes françaises : il a besoin, le jeune Collet de savoir ce qui se passe chez lui, chez les siens ! Il a besoin d’un peu d’air du pays. Et il donne, fièrement, son adresse : « Citoyen Collette, chasseur au vingt-huitième Regimant ci devant d’humaine Compagnie de Guilliot A Sospelle »