Une du Petit Courrier de 1910
Début de brèche, route de Chalonnes-sur-Loire à Saint-Georges-sur-Loire en 1910 (ADML)
Dans tout l’espace ligérien on se souvient de la crue de 1910, la plus connue, parce qu’elle s’est produite en même temps que les débordements de la Seine, de la Garonne, du Rhône, et parce qu’elle a suscité de nombreux témoignages écrits et photographiques. Pourtant, elle n’est pas unique ; elle fait partie d’une longue série d’inondations qui, de tous temps, ont marqué l’histoire de la vallée. A la fois bienfaisantes et dévastatrices, attendues et redoutées depuis toujours, elles transforment la Loire, si inoffensive à l’étiage des mois d’été, en un flot énorme qui charrie des eaux boueuses et meurtrières.
Dès le moyen âge, les hommes avaient essayé de construire des barrages de terre, les turcies, pour contenir le fleuve, mais ces derniers étaient discontinus. Ceux-ci sont remplacés progressivement par des levées, digues érigées pour protéger le val. La levée de Savennières qui va de l’Alleud à Montjean va subir à partir du XVIIIème siècle de nombreux travaux de consolidation et de renforcement malheureusement souvent insuffisants, pour lutter contre le fleuve en crue.
En février 1844, celle qui protège la vallée de Saint-Georges se rompt à La Croix Verte, en Saint-Germain-des-Prés, et l’eau emporte la maison de Jacques Delaunay, le laissant seul et démuni avec 6 enfants !
En juin 1856, la crue se déclenche soudainement, avec une rare violence : elle accuse 6,33m à l’échelle de Montjean. A Saint-Georges, durement touché « le conseil municipal encore ému des ravages de la dernière inondation, et désireux de prévenir de nouveaux désastres, contre lesquels l’état actuel des digues présente peu de garanties » propose des enrochements jusqu’au sommet pour en accroître la solidité.
Chaque fois, on déplore la perte des cultures (froment, chanvre, lin, choux) et celle de bovins qu’on n’a pas eu le temps de déplacer. Alors, bien sûr, on répare, on construit, on surélève.
A l’hiver 1910, à cause des pluies particulièrement abondantes sur l’ensemble de la France, la Loire menace les protections qui longent son cours. L’eau monte inexorablement, le courant est violent. La peur s’installe « sur toute la longueur, la levée de la Loire est sillonnée de charretiers et d’habitants qui transportent leur fourrage, leur mobilier, redoutant une catastrophe, à la recherche d’un abri plus hospitalier ». (Le Petit Courrier 1er décembre 1910)
La route n° 15, celle qui prolonge le pont de Montjean en direction de Champtocé, et ferme la levée dite de Savennières, protégeant ainsi toute la vallée de Saint-Georges, est coupée ce même jour. On donne l’ordre à toute personne présente de s’enfuir au plus vite. Terreur ! Il faut évacuer les hameaux les plus menacés de La Possonnière, de Saint-Georges, de Saint-Germain-des-Prés.
Le Petit Courrier titre « Un grand désastre : l’Anjou inondé ».
Dans la nuit du 1er au 2 décembre, la pression exercée par le fleuve est si forte que la digue cède à hauteur de Saint-Germain. L’eau se répand dans la vallée, où elle monte de 2m. Toutes les maisons au nord du fleuve sont inondées. A la Basse Villette par exemple, les flots boueux vont jusqu’au manteau des cheminées. A son tour, la route n° 15 est emportée sur une longueur de 80 mètres. La route nationale 161, entre Saint-Georges et Chalonnes, submergée, empêche toute communication avec le Grand Bras.
6,78 m sont atteints à l’échelle des crues de Montjean, établissant ainsi un record historique, et le débit atteint 6300m3/ seconde. La vallée, de La Possonnière à Montjean, est devenue un immense lac ! L’eau lèche le parc du château de l’Epinay, vient jusqu’à Coutances, La Grenouillère, Les Goguelets, chaque fois sous les ponts du chemin de fer. 756 hectares, soit 22% de la surface communale, sont noyés.
Zones inondées lors de la crue de 1910 à Saint Georges sur Loire
Subventions de l’État au département de Maine et Loire suite à la crue de 1910 pour notamment restaurer les levées
La crue de 1910 à Montjean, le 6ème régiment du Génie porte secours
Travaux sur la levée au début du XXème siècle
En amont et en aval, la situation est aussi tragique. Angers et Nantes sont inondées. Et le constat n’est pas meilleur dans les autres régions : de nombreuses maisons s’effondrent en Touraine, Paris est sous les eaux, le Rhône déborde…
Que faire ? Dès les premières menaces, 200 soldats du 6eme Génie, sous le commandement du général Bizos et équipés de 40 bateaux, ont été affectés aux secours. Ils ne cesseront d’évacuer hommes, bêtes et récoltes quand c’est possible, et de réparer. Ils sont aidés par des habitants réquisitionnés dans les communes concernées, qui, avec leurs bicyclettes, assureront entre autres les liaisons ! Les gendarmes sont également mis à contribution.
La Croix Rouge, dont la vicomtesse de Jousselin est la déléguée saint georgeoise, se dévoue sans compter et assure la distribution de vivres.
Et tout cela va finir par poser problème aux finances de la commune. En effet, il faut loger et nourrir tous ces gens, en plus de s’occuper des sinistrés ! Les commerçants du bourg ont fourni pain, viande, vin, épicerie et demandent à être payés. Or, dit le conseil municipal alors présidé par Louis Cotte de Jumilly, dans sa délibération du 8 janvier 1911, les secours n’ont pas été demandés par l’assemblée communale, mais envoyés par le préfet. Une somme de 800 francs est votée, que l’on espère bien se faire rembourser ! Il faudra faire appel à l’Etat. D’ailleurs, le maire d’Angers, qui n’est autre que le Saint-Georgeois Ambroise Monprofit a demandé à Louis Puech, ministre des travaux publics de venir constater les dégâts.
Le phénomène n’a pas été meurtrier, et on ne déplore la disparition d’aucune vie, mais le bilan est lourd : les pertes mobilières se montent à 645 francs ; 133 chefs de famille ont été sinistrés, parmi lesquels 9 ne sont pas imposés. Une aide d’urgence doit être apportée aux « perdants nécessiteux », et les habitants touchés réclament une réduction d’impôt.
L’histoire des crues ne s’arrête pas là : le niveau de la Loire sera de nouveau une menace bien des fois au XXème siècle.