Le chateau de Serrant au XVIIIème siècle
1796. Au château de Serrant, en pleine tourmente révolutionnaire, une jeune femme porte plainte contre un jardinier. L’homme conteste. Qui croire ?
Les temps étaient troublés, incertains. La Révolution de 1789 avait balayé les repères d’une société qui paraissait jusqu’alors immuable.
Le nom même du village était nouveau : il n’était plus question de Saint-Georges mais de Beausite, car toute référence religieuse avait disparu, et le mouvement de déchristianisation du territoire était lancé.
Le château de Serrant aussi avait connu des imprévus. Dès le mois de juillet 1789, le comte, Antoine Walsh, s’était joint aux premiers émigrés fuyant les troubles révolutionnaires. La comtesse, née Renée-Anne de Choiseul était morte en 1793, et, en cette année 1796, les troupes du 4e bataillon de Grenadiers de la Loire y logeaient. Le gouvernement avait en effet disposé des régiments le long du fleuve jusqu’à Nantes, pour prévenir d’éventuelles attaques de Vendéens. En l’absence des propriétaires, des domestiques y résidaient, entretenant l’édifice et ses alentours. Et c’est parmi eux que surgit le différend.
C’est Jean-Baptiste Maurice Sortant qui consigne soigneusement les événements. Il appartient à une famille de notables, installés depuis longtemps à Saint Georges. Son père était maître de la poste à chevaux alors située face à la rue des parements, de l’autre côté de la route d’Angers-Nantes. Il a fait faillite en 1774. Un de ses frères est prêtre. Jean-Baptiste, lui, sert le gouvernement révolutionnaire comme il servira, un peu plus tard, l’empire. Il consigne la plainte d’une femme.
La plainte de Jeanne Monnier en 1796
La signature de Jean Baptiste Maurice Sortant, juge de paixen 1796
En ce jour du 4 février 1796, ou plutôt du 15 pluviôse de l’an IV, il enregistre la plainte de Jeanne Monnier. Devant le juge de paix, Jeanne « demeurant à Serrant » où elle est sans doute domestique, dévoile sa grossesse, et accuse Jacques Esnault, un jardinier du château, de l’avoir séduite en lui promettant le mariage. Maintenant que l’enfant va naître, il ne veut plus rien assumer. Jeanne se pose en victime, naïve et amoureuse.
Faux, déclare avec véhémence le jardinier, entendu lui aussi par l’homme de loi. Cette fille est une dévergondée !
Bien sûr qu’il ne veut ni l’épouser ni reconnaître l’enfant ! D’ailleurs, il émet même des doutes sur la réalité de sa grossesse. En effet, dit-il « la conduite qu’elle a tenue depuis la Saint-Jean dernière, tant avec les grenadiers du 4e bataillon de la Loire inférieure qu’avec d’autres soldats qui ont logé à la maison de Serrant », laisse planer une sérieuse incertitude sur l’identité du géniteur.
Il continue à accuser, ce qui est la meilleure défense, « non contente de les faire coucher avec elle dans sa chambre, les allait même trouver dans leur caserne au vu et au su de tous les domestiques de Serrant ». Alors non, il ne paiera pas les 150 livres qu’elle réclame, faute de mariage, pour élever son enfant. Il la renvoie à sa condition de fille à soldats.
Le juge de paix est bien perplexe. Qui croire ? Que s’est-il réellement passé à Serrant ? Comment rendre justice ?
Il se décharge de la décision auprès « de juges compétants pour statuer ce qu’il appartiendra », et, dégagé de responsabilités, signe le document d’une belle écriture élégante et soignée.