Défilé des troupes allemandes durant l’occupation dans la cour du château (ADML)
19 juin 1940, 9h30 au château de Serrant
Le moteur pétaradant d’un side-car vient rompre la quiétude du parc. Le motard contourne le château, fait un arrêt sur la terrasse sud entre le château et l’étang avant de faire demi-tour et de repartir. Depuis la chambre d’apparat de la duchesse dans la tour sud, un homme observe le départ du soldat allemand sans grande surprise. L’avant-veille, Angers a été bombardée par la Luftwaffe. Les régiments allemands sont sur le point d’entrer dans la ville, désertée : la moitié de ses habitants a quitté le centre-ville, franchissant la Loire en direction du sud. Si l’agglomération n’est pas encore occupée, les troupes germaniques l’ont déjà contournée et progressent vers l’ouest. Aussi, la visite-éclair au château était attendue par celui qui y loge depuis déjà plusieurs mois.
La duchesse de la Trémoïlle a quitté depuis longtemps sa propriété pour une autre demeure dans le bordelais. En son absence, le locataire du château se nomme René Rabault. Le jeune angevin de trente ans est un homme de théâtre. Aîné d’une famille de dix enfants, il débute à 13 ans, dans l’atelier de de son père dont les décors de grandes qualités sont appréciés de toutes les troupes de la région. En 1931, Rabault profite de son service militaire à Paris pour voir des pièces de théâtre. En 1938, il décide de vivre sa passion et fonde la compagnie Le Masque au genêt. Cependant, le 2 septembre 1939, la mobilisation générale pour la seconde guerre mondiale met un frein à sa carrière.
Rabault n’est pas longtemps mobilisé. Père de famille nombreuse, il est renvoyé dans son foyer, un mois plus tard. Les autorités préfectorales le nomment alors conservateur au château de Serrant. Au début du conflit, les boiseries de Versailles ont en effet été démontées et placées dans de longues caisses plates. Les trésors du musée de la Marine sont eux aussi, empaquetés. Ce précieux chargement est envoyé par le ministère des Beaux-Arts loin de Paris. Le château de Serrant est réquisitionné : les caisses sont entreposées dans l’antichambre et dans un hangar situé à 600 mètres du château. Chargé de leur surveillance, René Rabault s’installe donc dans le pavillon contigu à cet entrepôt et, en l’absence de la duchesse, devient le seul responsable du château, de l’Orangerie et du hangar qu’il veille à maintenir bien clos.
Quelques heures après la ronde de reconnaissance du motard, la sonnette tinte. Devant la grille fermée du château, un jeune officier allemand attend. « Visite », lance-t-il à Rabault qui doit l’accompagner d’une pièce à l’autre. Une heure après son départ, dans les salons du château, résonnent les sons des bottes allemandes sur les parquets. Rabault, considéré par les officiers comme l’intendant du château, est convoqué par un jeune général qui l’interroge sur la nature des caisses entreposées. On lui demande alors de rassembler ses affaires personnelles et de quitter les lieux.
Rabault parlemente, tente de faire comprendre son rôle alors que les troupes commencent à déménager les caisses vers l’ancien évêché à Angers. Il finit par obtenir d’un officier de la Wehrmacht le rapatriement des caisses dans le hangar du château de Serrant où il va continuer de veiller à leur sécurité durant toute la guerre.
Le général von Manstein au château de Serrant (ADML)
Soldat allemand à l’entrée du château de Serrant durant l’occupation (L. Abellard)
René Rabault
C’est le début de quatre années d’occupation du domaine. Le général Erich von Manstein qui dirige la campagne de France y installe son état-major. Le château devient un lieu de repos pour les gradés et les hauts-dignitaires du IIIème Reich. Les officiers profitent de ce cadre remarquable pour organiser des festivités et des réceptions somptueuses. Fedor von Bock y célèbre sa promotion au rang de Generalfeldmarschall , le 19 juillet 1940, par Adolph Hitler. Walther von Brauchitsch, commandant en chef de l’armée de terre et artisan de la guerre éclair dans l’ouest, l’amiral Karl Dönitz qu’Adolph Hitler désigna comme son successeur à la tête du IIIème Reich dans son testament, le général Fredrich Paulus, chargé du front russe, ou encore le général Albert Kesselring, commandant des forces aériennes puis du front Méditerranéen, séjournent au château.
Dans les cuisines, on peut toujours découvrir, sur les murs, des fresques peintes par des soldats allemands cherchant certainement à occuper leur temps libre. Des soldats logent également dans le logis abbatial, dans le bourg du village. Les hommes y sont moins disciplinés : les dégâts sont importants. Angers est libérée le 10 août 1944 : Saint Georges sur Loire l’est également quelques jours plus tard.
René Rabault reprend ses activités théâtrales après la guerre. Il monte le Chemin de Croix de Paul Claudel en 1947. Le 9 juin 1950, il crée à la demande du préfet, le festival d’Angers jouant avec sa troupe, Roméo et Juliette de William Shakespeare devant le château de Brissac. Le Festival d’Angers devient en 1975 le célèbre festival d’Anjou. René Rabault quitte la scène pour se consacrer à l’écriture dans les années 1970. Il meurt en 1993 à l’âge de 82 ans.
Sources :
Guy Bonnet, 1940 Batailles sur les ponts de la Loire, éditions de la Nouvelle République, p.173 et 174, 1990