Saint Georges Patrimoine

La faillite du maitre de poste

1774 : le siècle des Lumières

La « Poste aux chevaux » a été créée par Louis XI en 1464. Ce dispositif, réservé à la Poste Royale, est constitué de relais disposés de place en place, capables de fournir chevaux et postillons pour acheminer le courrier royal. Etendu petit à petit, à d’autres transports, tels que des voyageurs, ce sera le service de la Poste jusque vers 1850. Un relais est sous la responsabilité d’un Maitre de Poste nommé par le roi, rétribué par le roi et plus tard par les utilisateurs. Il possède chevaux et postillons aptes à acheminer le courrier jusqu’au relais suivant.

Nous connaissons le nom des maitres de poste de Saint Georges depuis 1584: François Millet d’abord, puis le sieur Fourrier et les Sortant qui ont rendu la charge héréditaire. Les Sortant étaient locataires de la closerie de la Barre à la sortie ouest du bourg et de la Thibauderie, où ils parquaient leurs chevaux. Le dernier de cette famille, René-Guy, criblé de dettes, a fait faillite en 1771. 

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acte notarial de l'affaire sortant en 1774

Extrait de l’acte du notaire Jean-Hérosme Guyard en 1774

La situation est tellement critique en ce printemps 1774 pour René-Guy Sortant, qu’il en est réduit à vendre tous ses biens. Et encore ! Selon l’acte notarié dressé par maître Jean Hiérosme Guyard, notaire du comté de Serrant, cela ne permettra pas d’apurer les comptes. Il restera beaucoup à payer et notre homme est acculé à la ruine.

Comment en est-il arrivé là ?

Nommés par décision royale, les maîtres de poste tiennent des relais le long de routes importantes, comme l’est la route royale Paris- Angers-Nantes qui traverse Saint-Georges-sur-Loire. Ils doivent fournir des chevaux frais aux courriers qui transportent la correspondance, de même qu’aux voitures de messageries. Ils peuvent aussi être requis pour des services extraordinaires exigés par le roi.

René-Guy Sortant a occupé, en ce règne de Louis XV, la situation enviable de maître de la poste aux chevaux. Il a pris place dans une dynastie fondée par son père René en 1733, et dirige le relais depuis 1747. Cela est courant. Les familles « tiennent » la poste de nombreuses années, et les fils succèdent généralement aux pères. Pourtant, il y a trois ans déjà, il a été destitué. Il n’en continue pas moins à occuper la closerie de la Barre, centre de son activité, située à l’extrémité ouest du bourg de Saint-Georges. Cette dernière dépend de la riche abbaye du lieu.

En 1769, soit cinq ans avant l’acte qui nous occupe, il possédait 18 chevaux, révélateurs d’une belle progression de l’activité, puisque le même relais n’en proposait que 7 au début du siècle, en 1727. Mais voilà, certains ont été malades, de « la maladie du feu » dit-il. Comme la morve, autre affection chevaline, c’est une maladie grave, liée à l’empoisonnement que provoque l’ergot du seigle, et sans doute à une mauvaise conservation des grains.

C’est aussi un coup dur, car, par peur de la contamination, l’administration royale impose que cesse l’activité du relais, jusqu’à la guérison du cheptel. Et pendant ce temps, il faut nourrir et soigner les bêtes sans rien gagner. La perte s’accroît encore lorsqu’un cheval meurt.

signature de rené guy sortant

Signature de René Guy Sortant dans les registres (ADML)

plan du bourg en 1786

Le bourg en 1786. A l’ouest, le relai de poste, La Barre.

écuries de la poste à cheval au XVIIIème siècle
Ecuries de la Poste au XVIIème siècle 
Gravure de Moyreau, 1753

Un an après, il est requis pour le « voyage de madame la Dauphine », avec cinq chevaux. Il s’agit des festivités organisées pour le mariage du futur Louis XVI avec Marie-Antoinette d’Autriche. La jeune fille de 15 ans vient de quitter son pays pour entrer dans sa nouvelle patrie. Elle est entourée d’équipages somptueux, de bagages, et elle est fêtée tout le long du trajet, jusqu’à Versailles. Il faut beaucoup de chevaux. Or, nous dit René-Guy Sortant, il n’a reçu pour ce service que peu de chose en guise de paiement, et pas suffisamment en tous cas pour payer les frais occasionnés.

Et cette année-là est particulièrement difficile en Anjou, marquée par la cherté des grains, la disette, voire la famine.  D’ailleurs, si tout le XVIIIe siècle a connu des crises de subsistance, la situation a empiré depuis 1768 avec des hivers et des printemps trop humides, suivis d’étés exceptionnellement secs. La hausse des prix a été continue. René-Guy Sortant, lui, estime ses frais à 15 livres par jour, soit 675 livres pour 45 jours, alors qu’il n’a été défrayé que de cent sols par jour pendant un mois et demi, soit 225 livres. La perte qu’il annonce est bel et bien de plus de deux cent livres.

Les soucis, les malheurs s’enchaînent pour notre maître de poste. En 1771, René-Guy perd sa femme Louise Jouan. Il est obligé, pour la remplacer, d’engager des domestiques. Et ces derniers n’ont pas su gérer avec la même efficacité qu’elle, la maisonnée composée de 7 enfants, 3 domestiques habituels, et 4 autres pour remplacer l’épouse décédée.

Le maître de poste continue d’énumérer la liste des dépenses auxquelles il est impossible de se soustraire :

– l’entretien des chevaux,

– les impôts dus aux Fermiers du roi, et qui n’ont pas été payés à cause de récoltes trop médiocres,

– l’entretien et la nourriture des enfants et des domestiques,

– l’obligation de payer l’apprentissage de ses fils auprès de maîtres artisans : l’un sera sellier, un autre menuisier, le troisième fabriquant de « bar au métier ». Et voilà une formation qui revêt bien des mystères pour nous…

A cela, il faut ajouter l’absence de gains pendant la fermeture du relais, et les investissements malheureux : par exemple, la location d’une petite exploitation agricole, dont il n’a pu payer le loyer à cause de productions insuffisantes.

On serait effondré à moins ! René -Guy Sortant, qui égrène ses malheurs afin, semble-til, d’apitoyer ses créanciers, paraît presque victime d’une malédiction !

Mais ils sont là, ces créanciers, bien décidés à récupérer, sinon leur dû, tout au moins une partie, la plus importante possible. Et ils sont nombreux : 30, parmi lesquels on trouve ses enfants à qui il doit l’héritage de leur mère, sa sœur, un boulanger, un tailleur d’habits, des marchands, un éleveur de cochons, un notaire, un maréchal, des charpentiers, un meunier, un domestique, des collecteurs de l’impôt, et d’autres dont on ne connaît que le lieu de domicile : Saint-Germain-des- Prés, Savennières, Candé, Angers, Nantes…

Bref, René-Guy est un homme aux abois, dont la dette se monte à « plus de sept mil cinq livres ». Que faire ? Eh bien, il a « pris le parti de faire vente de majeure partie de ses effets mobiliers… dont le montant est de six cent quatre vingt dix neuf livres mobiliers… » Si on y ajoute la vente de ses bestiaux, chevaux, charrettes et équipages, plus des « meubles meublants », des ustensiles de cuisine, la vente d’une maison, on arrive à « cinq mil trois cents livres. » On est loin du compte ! Et il propose à ses créanciers de recevoir « de ladite vente chacun d’eux au marc la livre », c’est à dire de recevoir le dividende calculé en faisant le rapport entre le montant de la créance et le montant global de la somme qui reste à distribuer.

Il voudrait bien aussi qu’on lui accorde un « delay de cinq ans pour leur (les créanciers) » payer le surplus à quatre ou cinq termes différents qui seraient fixés « entre eux ».

Mais, ventre affamé n’a pas d’oreille, dit le proverbe, et plus personne ne veut faire confiance à notre maître de poste. « N’ayant pu obtenir cet acte d’humanité…il se trouva forcé de faire l’abandon autour de ses biens et de… donner l’état entier et sincère de ses affaires ».

C’en est fini pour René-Guy Sortant. Il ne sera plus jamais solvable. Empêtré dans des difficultés familiales, fâché avec ses enfants, il mourra indigent en 1792, à l’Hôtel-Dieu d’Angers.

L’activité est alors reprise. Mathurin Claude Avril exerce peut de temps en 1789, installé au Petit Serrant.

Marin Abafour originaire de Champtocé devient maitre de poste en 1789 et s’installe dans la closerie du prieuré à l’angle de la rue Tuboeuf. Il meurt et sa femme Jeanne Guiter poursuit l’activité. On lui vole 11 chevaux, soit la moitié de son cheptel. Elle meurt criblée de dettes en 1797 à 37 ans.

Pierre François Oger, notaire et maire, est maitre de poste jusqu’en 1827. Le relais est établi dans le bâtiment de la Tête Noire actuel.

La concurrence et le chemin de fer auront raison du dernier relais de Saint Georges sur Loire.