La chasse au loup, toile d’Alexandre-François Desportes, 1725
1682, les loups sont là, tout près, menaçants pour le bétail et les hommes, et cela n’a rien d’exceptionnel. Comme tous les autres dangers naturels, ils constituent (qu’ils soient sains ou enragés) un fléau pour la province. Ils sont très nombreux dans nos forêts aux XVIIe et XVIIIe siècles, âges aux cours desquels retentit comme un tocsin dans les villages, le cri d’épouvante «au loup/ au loup ! ». Ils vivent en meute et sèment la terreur, s’attaquant aux animaux d’élevage, mais aussi aux hommes. Les bois touffus les abritent, les nourrissent.
Certaines années, lorsque la pitance leur fait défaut ils en sortent, affamés et dangereux. Les loups mangent gloutonnement écrit La Fontaine (Le loup et la cigogne). François Lebrun, dans « Les hommes et la mort en Anjou aux XVIIe et XVIIIe siècles », cite cet animal qui dans la région de Craon, a dévoré 10 personnes. Au cours de l’âge classique, ils ont alimenté toutes les terreurs, rôdeurs maléfiques des contes de Perrault, ou terrible Loup Garou qui s’incarna un peu plus tard dans la bête du Gévaudan. La toponymie même de notre région atteste de cette présence : nos communes ont souvent une «rote (sentier) aux loups», nom qui garde le souvenir du passage de ces hordes.
Donc, en 1682, ils rôdent autour de Saint-Georges, et s’attaquent aux troupeaux, provoquant de « nombreuses pertes et préjudices ». Alors le comte de Serrant décide d’agir. C’est Guillaume Bautru III, le fils de Guillaume Bautru qui, en 1636, a acheté le château de Serrant et son vaste domaine où les forêts du Petit et Grand-Fouilloux occupent une place importante, de St-Georges aux portes d’Angers. Il va donc réunir les habitants des paroisses concernées, St-Georges, Savennières, St-Martin, Le Petit-Paris, le 22 septembre 1682, jour de la Saint-Maurice, à Bourdigal, près de Chevigné, au cœur du massif forestier d’alors. Si les loups sont nombreux, tous ces hommes ne seront pas de trop pour faire le «hut» c’est-à-dire débusquer et rabattre vers eux les prédateurs.
Chasse au loup en forêt, toile de Jean-Baptiste Oudry, 1748
L’opération commence tôt, en ce mois de septembre aux matinées fraîches : 7 heures, et chacun doit amener ce qui peut servir d’arme : bâtons/ outils de toutes sortes, et armes à feu pour ceux qui en possèdent, qui en ont le droit. Le comte, ou son représentant, dirigera la battue, à laquelle tous doivent participer, sous peine d’une amende de 60 sols. C’est bien parce que le danger est manifeste que les paysans vont prendre part à la chasse : il y a là une dérogation importante à la Grande Ordonnance de 1669 sur les Eaux et Forêts, qui les excluait de toute poursuite de gibier et assimilait la moindre prise à du braconnage. On imagine qu’ils sont là, tous ceux dont les noms figurent sur les registres qu’apportent, afin de vérification, les « procureurs de fabrique », c’est à dire les représentants des paroisses, chargés de la gestion des biens de ces dernières. En cas d’absence, l’amende sera versée pour une moitié à la paroisse, pour l’autre servira à réparer l’«auditoire», autrement dit la nef de l’église. La règle, stricte, est rappelée : seuls, les loups pourront être tirés. Il ne faudrait pas profiter de l’occasion pour abattre n’importe lequel de ces animaux dont la forêt giboyeuse regorge…! « Défense de tirer sur autres animaux que les dits loups». Et là encore, on menace d’amende et de confiscation de son arme, celui qui se risquerait à contrevenir. La convocation doit être lue au prône des messes, le dimanche précédant la battue, afin que personne n’en ignore l’existence et les modalités.
A-t-on pu ; après cette Saint-Maurice, chanter « Promenons-nous dans les bois tant que le loup n’y est pas » ? Une faim de loup ; se jeter dans la gueule du loup ; hurler avec les loups ; une peur de loup ; à pas de loup ; un froid de loup ; crier au loup ; enfermer le loup clans la bergerie ; faire sortir le loup du bois ; un jeune loup ; être connu comme un loup blanc ; jouer à loup caché ; quand on parle du loup…
Autant d’expressions du langage populaire qui portent l’empreinte de la présence et de la crainte ancestrale du loup.