En 2011, Joseph Roynard, résidant à la Maison de retraite de Saint-Georges-sur-Loire, avait été interviewé pour le magazine municipal. Cet ancien combattant et prisonnier de guerre de la Seconde Guerre mondiale avait reçu en mai 2010, le diplôme d’honneur d’ancien combattant 1939-1945. De manière à sauvegarder ce témoignage précieux, Marie-Hélène Chevalier, responsable des témoignages oraux aux Archives départementales de Maine-et-Loire, avait guidé l’entretien et l’avait enregistré.
Joseph Roynard en uniforme
M-H Chevalier : Monsieur Roynard, pouvez-vous vous présenter ?
J. Roynard : Je suis né le 14 juillet 1909 à Beaucouzé. Mes parents étaient cultivateurs dans une ferme près de Saint-Jean-de-Linières. En 1913, nous sommes partis pour nous installer à Saint-Martin-du-Fouilloux, j’avais alors 4 ans. En 1914, la Première Guerre mondiale a éclaté. Mon père, mobilisé, a pris le Petit-Anjou pour rejoindre le 7ème Génie. En Belgique, il a été fait prisonnier et resté 4 ans en captivité en Allemagne. Moi et ma sœur, nous allions à l’école, mais comme je n’étais pas très bon, je suis devenu salarié agricole. J’ai fait mon service militaire dans le 5ème régiment de cuirassiers à Pontoise. Une aubaine pour moi, qui adore m’occuper des chevaux.
Après un an de service, je me suis marié, en 1933. A partir de là, j’ai travaillé chez un châtelain à Savennières. Ensuite, le temps a passé, et les événements se sont précipités…
M-H Chevalier : Vous souvenez-vous d’événements qui ont précédé la déclaration de guerre ?
J. Roynard: Hitler était un homme qui faisait du bruit. Il disait beaucoup de mensonges. En 1938, je me rappelle de la signature des accords de Munich (Les accords de Munich ont été signés entre l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni et l’Italie en règlement de la crise des Sudètes et marque la fin de la Tchécoslovaquie comme état indépendant, en échange de vagues promesses de paix d’Hitler) . Hitler ne respectait rien du tout, il voulait dominer l’Europe.
J’ai été rappelé chez les hussards, à Saumur… En 1939, il y a eu la mobilisation, et je me suis retrouvé dans la cavalerie, à Niort, avant de rejoindre Lunéville (en Meurthe-et-Moselle), où nous étions entre 300 et 400 hommes à nous occuper des chevaux de réquisition (la Remonte), c’est-à-dire des chevaux de labour… pas vraiment faits pour les courses à Longchamp !
Mon état d’esprit au moment de la mobilisation, je ne sais pas quoi vous dire. Au gouvernement, on n’avait que des patates. On n’avait pas de de Gaulle à ce moment là. On nous racontait que la Ligne Maginot était infranchissable, que l’Allemagne n’avait personne pour les commander, qu’on était les plus forts…
Au dépôt, il ne se passait pas grand-chose. Moi, je passais mon temps à m’occuper des chevaux, on les sortait, on les promenait. Et puis, j’ai eu une permission. Je me souviens que pour la première fois, j’ai assisté à une pièce de théâtre, jouée par des soldats qui étaient comédiens.
En mai 1940, Hitler envahit la France, il y a eu des bombardements, les gens de Belgique et les Français sur la frontière ne faisaient pas le poids face à des Allemands qui avaient des équipements incroyables, des avions… Très vite, les Allemands ont pris Paris, vers le 14 juin, je crois bien.
M-H Chevalier : Avez-vous vu des réfugiés
J.Roynard: Oui, des trains entiers. A Epinal, on leur donnait manger : des gosses qui n’avaient rien, des gens du nord qui allaient dans le sud… Certains sont passés en Suisse.
M-H Chevalier : Pouvez-vous nous raconter comment vous avait été fait prisonnier ?
J.Roynard: Il y avait 2 millions d’hommes qui se tenaient derrière la Ligne Maginot, censée nous protéger. Moi j’étais dans les Vosges. On était installé dans une ancienne briqueterie, un bâtiment immense, ouvert à tous vents, sans porte ni fenêtre. On n’avait pas eu chaud pendant l’hiver ! Il faisait très froid.
J’ai été fait prisonnier un après-midi, nous étions une quarantaine. En très peu de temps, nous avons été ramassés comme des lapins ! Dans la forêt, ils ont tiré quelques coups de fusil, et on est sorti de nos planques. N’étant pas dans une unité combattante, on n’avait pas d’armes !
Sur les routes, il y avait beaucoup de prisonniers dans des camions. Au sommet du col du Bonhomme, on a passé la nuit dans un terrain vague. On était abruti, on n’avait pas dormi. On est reparti, et le soir nous étions à Colmar (situé en zone annexée).
Je suis resté à Colmar pendant 1 mois, d’où des convois de trains de prisonniers partaient pour l’Allemagne. C’était la période des moissons, et il leur fallait de la main d’œuvre.
C’est comme ça que je me suis retrouvé dans une ferme, quelques jours après mon arrivée au stalag (camp de prisonniers).
Le Stalag VIIA de Moosburg
Un des miradors du Stalag VIIA
Plaque de matricule du Stalag VIIA
M-H Chevalier : Comment se passait la vie au camp ?
J. Roynard: On a pris le train de nuit à Neuf-Brisach (Haut-Rhin), et le lendemain on arrivait à Munich. Là on nous a donné de l’eau, puis nous sommes partis pour le stalag (Stalag VII A, Moosburg, situé en Bavière Rhénane, au nord-est de Munich).
Ça, ce n’était pas drôle, je me souviens des rassemblements, et surtout des chiens… J’avais plus peur d’eux que des Allemands ! Le camp était drôlement organisé, très équipé, avec des miradors. C’était pas la joie. On nous a identifié et donné un matricule. Moi, j’étais le matricule 34.090, c’est dire s’il y en avait eu plein d’autres avant moi.
Ils ont formé un groupe de 25 hommes, on est partis en train, puis on a marché à travers la campagne jusqu’au village. Beaucoup se déclaraient cultivateur, pour aller en ferme plutôt qu’à l’usine. Ils pensaient qu’il y aurait plus à manger.
Au village, nous avons été accueillis par le Maire et un garde champêtre dans une salle des fêtes. Des paysans sont venus voir la gueule qu’on avait, et faisait leur choix. Il y en a un qui m’a tapé sur l’épaule pour me désigner. On était 2, j’étais avec un jeune instituteur.
M-H Chevalier : Comment s’organisait votre vie ?
J.Roynard: Notre kommando de travail était composé de 2 groupes de 12 hommes. Ça se passait bien, je n’ai pas eu d’histoires. Moi, j’ai eu de la chance, le patron où je travaillais était au-dessus de la normale, c’était « quelqu’un » ! Il ne m’a jamais embêté. C’est le rythme de la nature et le climat qui commandaient nos tâches à la ferme. Là encore, Je m’occupais des chevaux. Quelques temps plus tard, d’autres prisonniers, des Yougoslaves, nous ont rejoints. J’avais pour eux beaucoup d’estime. Par commodité pour l’administration, nous n’étions pas mélangés. Les relations entre prisonniers n’étaient pas mauvaises. On était là par la force des choses, mais on n’avait pas les mêmes idées.
M-H Chevalier : Vous avez une anecdote à ce sujet ?
J.Roynard: On recevait des colis de la Croix-Rouge, dont on n’avait pas vraiment besoin, car la nourriture qu’on nous donnait n’était pas si mauvaise. Les colis, c’était pour tout le monde. Après la distribution des boîtes de sardines, comme il en restait, on s’est demandé ce qu’on pouvait en faire. Moi, j’étais de ceux qui voulaient en donner aux Yougoslaves, qui ne recevaient pas encore de colis à ce moment là. Mais comme certains ne voulaient pas, alors on leur a rien donné.
Peu de temps après, ils ont eu aussi des colis, et l’un d’entre eux, un copain, a coupé du jambon fumé et posé un morceau sur chaque lit. Ceux qui leur avaient refusé les sardines, ils l’ont bien accepté et mangé ! Il y avait des égoïstes, c’est un mauvais souvenir…
M-H Chevalier : Y a-t-il eu des tentatives d’évasion ?
J.Roynard: Oui, 2. Mais elles ont échoué. Il y avait beaucoup de neige sur les Alpes bavaroises, et les passages étaient très surveillés. Mais je sais aussi qu’il y avait des Allemands qui s’en foutaient, qui aidaient des Français à s’évader. Des soldats nous proposaient aussi d’écrire des lettres à nos familles, des lettres qui ne seraient pas censurées comme à l’habitude. Je pensais « Si j’étais à leur place, est-ce que j’en aurais fait autant ? »
M-H Chevalier : Aviez- vous des informations sur ce qui se passait en France ou sur des événements qui vous ont marqué ?
J.Roynard: Au bout d’un certain temps, j’ai commencé à demander des nouvelles au patron du café devant lequel je passais tous les matins. Comme il avait confiance en moi, il me laissait écouter la BBC dans sa cuisine. Il fallait faire attention de ne pas se faire prendre ! Après ça, mon patron a accepté que nous ayons une radio. On avait alors une idée de ce qui se passait. Pendant longtemps, ça ne bougeait pas beaucoup, puis il y a eu la Russie. On a senti que c’était un coup dur pour les Allemands. Le jour où j’ai appris l’entrée en guerre des Etats-Unis, je me souviens que je plantais des betteraves ! Avec le débarquement de Normandie, beaucoup d’Allemands ont reçu des ordres et sont partis. Il y a eu du changement, on nous a demandé si on voulait être libres, sans surveillance du gardien. On a refusé, car cela libérait des soldats pour aller faire la guerre !
M-H Chevalier : Quel souvenir gardez-vous de l’avancée de troupes alliées ?
J.Roynard : Moi, je l’avais vécu, la déroute des troupes françaises. Et là, j’étais un spectateur de la déroute des Allemands ! Hitler s’est suicidé en avril, et j’étais libéré en mai. Ce sont les Américains qui nous ont libérés, sans un seul coup de fusil. Ils ont envoyé des imprimés dans les kommandos nous demandant de continuer à travailler, mais on s’en foutait. Pendant 15 jours, on ne faisait plus rien. Il était temps que ça arrive, on ne supportait plus l’autorité allemande. Je suis rentré en France par avion. On a mis 3 heures.
M-H Chevalier : Comment s’est passé votre retour en France ?
J.Roynard: Un bon accueil. Il y avait des formalités à remplir, et le train a mis un temps infini, à cause des ponts coupés…Je suis arrivée en Anjou le jour de la Pentecôte, au moment des communions. Personne ne m’attendait. A la gare, on nous a emmenés en camion et on nous a offert des gâteaux. Après, avec mon baluchon, je suis parti par la rue Saint-Jacques et j’ai fait du stop. Un homme qui allait à un repas de famille à Saint-Jean-de-Linières m’a pris en charge jusqu’à chez moi. C’était fermé. Sur la route, j’ai croisé ma fille en communiante. Le garçon, je ne le reconnaissais pas, même si j’avais eu des photos de temps en temps.
M-H Chevalier : Quelle est votre opinion sur cette guerre ?
J.Roynard: Elle est complètement inutile pour moi, mais ça devait être comme ça. Hitler est responsable, c’était un malin. On a donné notre jeunesse, mais il y en a qui ont donné encore plus que ça ! J’avais un copain qui, avec 2 ans de service, la mobilisation et sa captivité, qui a fait 8 ans d’affilée !
M-H Chevalier : Quels sont vos sentiments vis-à-vis de l’Allemagne ?
J.Roynard: Je ne sais pas quoi dire. Je n’ai aucune haine. Mais j’ai eu la chance de tomber dans un milieu exceptionnel. Mon patron avait du bon sens. Je n’ai pas de haine, la politique je ne sais pas ce que c’est.
La réconciliation ? Je suis pour. Ma grand-mère, elle a connu la guerre de 1870 ! Ils sont venus en Sarthe quand elle avait une quinzaine d’années. Moi, je n’ai entendu parler que de guerre : 1870, 1914, la Drôle de guerre, puis l’Algérie par mes enfants.
Moi, je voulais la paix.
Est-ce que je suis pacifiste ? Je crois que oui.
Joseph Roynard en 2011