Portrait du général Thielmann
Bien avant l’occupation allemande de 1940, Saint Georges sur Loire avait connu dès le XIXème siècle la présence de soldats venus de Berlin. C’était en 1815. Les saint-georgeois venaient de traverser une période très sombre avec la Révolution.
En avril 1814, l’empereur Napoléon 1er, dont les armées avaient conquis, puis perdu une bonne partie de l’Europe, avait été contraint d’abandonner le pouvoir et d’accepter l’exil à l’île d’Elbe, en Méditerranée. Il n’y était pas resté longtemps. Dès mars 1815, évadé de son île, trop petite pour lui, il s’était à nouveau emparé du pouvoir impérial pendant trois mois : ce sont les Cent Jours. Puis, les Anglais et leurs alliés européens l’avaient battu à Waterloo, avant de l’envoyer sur l’île brumeuse de Sainte-Hélène, perdue dans les brouillards atlantiques. Il devait y mourir. Les frères de Louis XVI occupèrent alors, l’un après l’autre, le trône de France.
Ah qu’il était difficile d’affirmer une fidélité politique en ces temps troublés, propices aux retournements, aux serments contradictoires ! Le conseil municipal de Saint-Georges, présidé par Julien Alexis Faugeron, officier de santé, n’a pas échappé à ces reniements. Lui qui s’était empressé d’adresser « sa soumission et sa reconnaissance aux Bourbons » et de renouveler « son serment de fidélité au Roy » Louis XVIII, monarque pendant le premier exil de Napoléon, réaffirme sa loyauté à l’empereur à nouveau maître du pays, le 18 avril 1815, c’est à dire pendant les Cent Jours ! Il va sans dire qu’au bout de cette période, et l’empereur à jamais déchu, il proteste de son attachement et de son absolue soumission à Louis XVIII revenu définitivement au pouvoir.
Les alliés, vainqueurs des armées impériales, avaient été indignés par ces gesticulations politiques, et, persuadés qu’ils ne pouvaient faire confiance à ces diables de Français, avaient décidé d’occuper une partie de la France, prenant aussi leur revanche sur ce pays si longtemps conquérant. Une nouvelle insurrection serait alors impossible. La coalition, composée d’Anglais, d’Autrichiens, de Russes et de Prussiens envoya 1 200 000 hommes qui occupèrent 61 départements. Et c’est ainsi que Saint-Georges vit arriver les Prussiens du 3e corps d’armée commandé par le général Thielmann.
Hussard prussien
L’Allemagne alors n’existait pas encore. Elle était composée de petits états indépendants, parmi lesquels la Prusse, forte et militarisée, qui occupait, avec Berlin sa capitale, une position de première importance. Les voilà donc ces soldats qu’il faut loger, nourrir et supporter. Effroi probable de la population ! Il leur faut du pain, du vin, de la viande, de l’eau de vie, du tabac, et de l’avoine, et de la paille, et du fourrage pour leurs chevaux ! Le conseil municipal s’inquiète de l’approvisionnement exigé, et met toutes ces fournitures « au rabais », c’est à dire au prix le plus bas possible. Le boucher Gourdon propose la viande à 14 sols le kg ; le cabaretier Mathurin Rousseau emporte le marché du vin qu’il fournira à 9 sols la bouteille. Quant au pain, c’est le boulanger Lemée qui le propose au prix de la mercuriale.
Pour ce qui est du tabac et de l’eau de vie, on traitera plus tard avec le capitaine qui commande le détachement. Il s’agit de parer au plus pressé, et les accords paraissent clairs. Mais on ne tarde pas à déchanter. Les Prussiens «sont exigeants et emportés.» Il faut encore ferrer leurs chevaux, entretenir leurs équipages, fournir de la lumière. Ils consomment « les viande, vin, tabac et eau de vie au delà de la probabilité, et beaucoup plus que trois hommes ordinaires. »
Les ressources de la commune n’y suffisent pas : elle ne peut même pas fournir tout le vin et l’avoine consommés, qu’il faut acheter ailleurs…
Il faudra, une fois encore utiliser les vieilles recettes, c’est à dire lever un nouvel impôt. La dépense journalière liée à l’occupation s’élève à 150 francs par jour. Après de longues réflexions, avec beaucoup de réticences, le conseil municipal décide de lever « 12 centimes et demi par franc sur l’impôt foncier». La présence des Prussiens pèse de plus en plus.
Et dans ces comptes rendus municipaux ne sont pas évoqués les autres problèmes de la vie quotidienne : les réquisitions, les violences, les vols, les viols qui sont toujours le fait des armées d’occupation. D’ailleurs, les historiens remarquent que ces derniers augmentent au cours de l’été 1815 dans les départements tenus par les Prussiens. L’un d’eux, François Furet note que l’occupation fut si dure qu’elle laissa pour longtemps des sentiments de haine.
Dans « l’état général des charges supportées par l’arrondissement d’Angers résultant de l’occupation des armées étrangères », il est noté qu’« une nourriture extraordinaire » a été fournie aux officiers à l’auberge et que « des voitures et des chevaux » ont été « fournis pour enlever les armes et porter leurs sacko (coiffure militaire haute, faite de feutre et surmontée d’une calotte de cuir, complétée d’une visière, aux couleurs et aux armes du régiment. L’armée prussienne fut la première à le porter. Il fut ensuite adopté par les armées impériales françaises).
Le texte mentionne aussi des frais d’interprète.
Et comme si tout cela ne suffisait pas, il faut aussi régler des « frais de fortification et de réparation d’armes » qui n’avaient pas été payés. Des fortifications à Saint-Georges ? On croit rêver…. Elles avaient été décidées pendant les Cent Jours par le général Lamarque, fidèle à Bonaparte, et prêt, à la tête de l’armée de Vendée, à mater un soulèvement royaliste. Les ordres n’avaient pas été écrits, Lamarque se contentant, lors de sa venue, de désigner d’un geste de la main, les travaux à accomplir … ! On ne sait pas en quoi ils consistaient, et les fortifications autant que leur emplacement restent encore un mystère.
Les Prussiens devaient occuper la France jusqu’en 1818.
Les archives saint-georgeoises, après 1815, ne mentionnent plus cette invasion qui en préfigurait d’autres.
armées prussiennes en 1813