Plaque commémorative située dans le cimetière de Saint Georges
La rue du Dolmen à Saint Nazaire où la famille Keller séjourna en 1940
En janvier 1944, une femme et ses trois enfants sont arrêtés sous les yeux des saint-georgeois par les gendarmes. Cette famille polonaise s’était installée dans la commune en 1940. Ils partiront pour Auschwitz où ils trouveront la mort.
Naftali Joseph KELLER est né en 1901 à Mostyka, un village de 4600 habitants aujourd’hui à la frontière de l’Ukraine et de la Pologne. Il rencontre Reisel GOLDSTEIN que l’on appelle Rosa dans la ville voisine de Yavoriv. Elle est de 7 ans son aînée mais ils se marient et s’installent à Przemysl, grande cité de plus de 60 000 âmes, où ils ont deux filles, Sara, le 2 mai 1928 et Irène, le 16 décembre 1929.
Il n’y a pas de trace de ce que le couple a traversé durant ces premières années. Ils sont nés et ont grandi au milieu d’un monde aux frontières floues (la Pologne se sépare de l’empire austro-hongrois en 1918 alors que l’Ukraine est sous domination soviétique) dans un climat de violence antisémite constant. Les pogroms (mot d’origine russe signifiant «destruction, pillage») qui frappent les communautés juives de l’Est ont débuté dès la fin du XIXème siècle. On ne sait pas ce qui a motivé les Keller à partir mais comme des milliers de familles juives (près de 400 000 juifs polonais émigreront entre 1921 et 1937), ils quittent la Pologne et sont en France en 1930.
Les Keller arrivent au début des années 30 à Belfort. Ils sont très certainement accueillis par la petite communauté juive de la ville. C’est là que naît leur troisième enfant, un garçon, Michel, le 24 Mars 1935. Naftali développe une activité de marchand de tissus ambulant qui fait vivre toute la famille.
Le 1er septembre 1939, les troupes allemandes envahissent la Pologne. Le 3 septembre 1939, la France et le Royaume-Uni déclarent la guerre à l’Allemagne en vertu d’un traité de février 1921 les liant à la Pologne. C’est le début de la seconde Guerre Mondiale.
Naftali Keller s’inscrit sur les listes des engagés volontaires dès le 5 septembre 1939. En effet, un décret d’avril 1939 permet à tous les étrangers de 18 à 40 ans de s’engager dans l’armée française. Plus de 57 000 étrangers feront comme Naftali.
Les Keller décident de quitter Belfort, trop proche de la frontière avec l’Allemagne.
Alors que la guerre s’achève brusquement avec la victoire allemande, les Keller s’installent à Saint Nazaire qui est alors en zone occupée après l’armistice de juin 1940.
Sara qui a tout juste 12 ans obtient son Certificat d’Études en juin avec des notes brillantes. La préfecture de Loire-Inférieure alors sous le joug allemand procède d’abord au recensement des familles juives. Naftali déclare son entrerpise. A l’automne 1940, les autorités allemandes lancent une procédure d’aryanisation qui vise à spolier les commerces et entreprises juives. Les Keller sont chassés de Saint Nazaire le 6 décembre 1940 pour Baugé puis Saint Georges sur Loire.
Déclaration des biens des Keller à l’administration allemande
La famille Keller s’installe dans une petite maison discrète, route de Segré, située à l’arrière des autres et aujourd’hui disparue. Les Keller tentent une intégration difficile dans un village qui compte alors moins de 2 000 habitants où les étrangers attirent une certaine curiosité voire une méfiance. Cependant, les enfants vont à l’école publique et tissent des liens d’amitié. Sara, la fille aînée fait des cadeaux de tissu, don de son père, marchandise rare en ces temps de restrictions, sans doute parce qu’elle était généreuse, peut-être aussi pour s’attirer la sympathie des gens. Elle rend souvent visite à une couturière du village, madame Lambin, avec la famille de qui elle noue une amitié profonde. Neftali va jouer à la société de boule. Rosa est plus discrète et reste le plus souvent enfermée chez elle. La famille possède une voiture, un certain signe d’aisance.
En 1941, l’administration angevine recense les étrangers qui sont «en surnombre dans l’économie nationale». Les juifs réfugiés des départements voisins, frappés de l’interdiction d’exercer leur métier, sont considérés comme coûtant trop cher à la collectivité. Le rapport justifie alors l’arrestation et l’internement au camp de Beaune-la-Rolande de huit personnes le 18 septembre 1941 par le fait que «leur séjour dans un camp de concentration serait moins onéreux que l’hébergement individuel». Naftali Keller fait partie des premiers déportés de Maine et Loire.
Quelques mois plus tard, le convoi n°5 du 26 juin 1942, l’emporte vers Auschwitz. Il rentre alors dans la partie concentrationnaire du camp où il reçoit le matricule 43161. Naftali est décédé un mois après son arrivée le 20 juillet 1942 à l’âge de 41 ans.
Rosa Keller et ses enfants poursuivent à Saint-Georges une existence inquiète, sans argent, sans possibilité d’en gagner. « Mme Keller n’a pour toute ressource que l’allocation des réfugiés. Le conseil donne avis favorable d’assistance médicale gratuite pour ses trois enfants », note le secrétaire de mairie dans un compte rendu de conseil municipal daté du 26 octobre 1941.
Cette vie précaire, pourtant éclairée par quelques amitiés, se poursuit jusqu’en janvier 1944.
Le 26 janvier 1944, des gendarmes français se présentent à l’école publique de filles dirigée par madame Poirier, rue des Parements. Ils emmènent Irène, puis vont chercher Michel, dans la cour de l’école dirigée par monsieur Métivier, rue du Riochet. Ensuite, ils vont prendre Sara chez madame Lambin, effondrée. Rosa, leur mère, est sans doute arrêtée chez elle.
Ils sont tous emmenés à la prison du Pré-Pigeon à Angers. Le 29 janvier, on les transfère au camp de Drancy.
Dans le camp de regroupement, Rosa prend soin de la petite Anja Schaul, 6 ans, arrêtée elle aussi dans son école des Rosiers-sur- Loire.
Ils font ensuite partie du convoi n°68 qui, le 10 février 1944, part pour Auschwitz, où sont morts épuisés, malades, gazés, plus d’un million d’êtres humains.
L‘acte de décès de Michel est daté du 15 février 1944. C’est le seul acte reçu par la municipalité puisque l’enfant était le seul à être né sur le sol français. Il est mort 5 jours après avoir quitté Angers, sans doute dès son arrivée, et de façon à peu près certaine, dans une chambre à gaz. Il n’avait pas encore 9 ans.
La petite Anja a été exterminée le même jour et son acte de décès est aussi daté du 15 février.
Après la guerre, Rosa, 50 ans, Sara, 15 ans, et Irène, 14 ans, sont déclarées mortes en déportation en 1944.
Dans le cimetière, une plaque, apposée par Denis Mercier, maire de Saint Georges, appelle à se souvenir de la famille Keller et de Daniel Crétin, étudiant et résistant saint-georgeois, victime également de la déportation. (photo en couverture)
Le samedi 28 avril 2007, Daniel Froger, maire de Saint Georges dévoilait la plaque du square qui porte le nom de la famille Keller en présence de saint-georgeois venus leur rendre hommage et notamment de Yves Lambin et Serge Bruneau, camarades de classe de Michel Keller. Alain Jacobzone, historien dont une partie du travail est consacrée à la mémoire des Juifs en Anjou, était présent à la cérémonie. Il soulignait l’importance de conserver une trace de la vie de ces gens ordinaires, malheureuses victimes, pour mieux comprendre notre passé et nous prévenir de cette barbarie.
Fiche d’internement du camp de Drancy d’Irène Keller
Sara Keller laisse tombé du convoi qui l’emmène au Pré-Pigeon, ces derniers mots pour la famille Lambin